Neutraliser les grands criminels

– COLLOQUE SUR LES CRIMINELS DANGEREUX –

17 Octobre 2008 – Assemblée Nationale

CONFERENCE DE MICHELE AGRAPART


Le thème même de ce colloque interpelle notamment dans sa définition de « grands criminels » car si les criminels sont définis par le jugement, la sanction encourue, le qualificatif « grand » est éminemment subjectif.
Un grand criminel est-il grand par le nombre de ses victimes tel « le serial killer américain ou, de manière légalement impropre, le tueur en série français », par la gravité de ses méfaits (victime mineure, actes de torture et de barbarie) ou par sa personnalité même, susceptible de récidiver ?
C’est ce que doit définir et mettre en évidence l’expertise psychologique spécifique de la dangerosité criminologique, cet examen déclenchant des processus de prévention, afin de neutraliser après un ou des passages à l’acte, « ce grand criminel. ». Mais en l’occurrence s’il y a déjà eu des actes criminels on ne fait plus de la prévention, mais de la prévention de la récidive. Sauf si on parvient chez un très jeune délinquant à identifier les signes précurseurs de sa future dangerosité et à mettre en place une réelle prévention à la fois éducative et répressive.

C’est alors à l’expert par son analyse de spécialiste du comportement humain d’éclairer la Cour … en sachant d’une part que les sciences humaines ne sont pas toujours des sciences exactes, que d’autre part les médias accordent aux experts un pouvoir qu’ils ne possèdent (heureusement pas). Enfin, écrire dans les conclusions d’un rapport et exprimer aux Assises qu’un criminel est dangereux c’est-à-dire récidiviste en puissance, c’est courir le risque d’avoir, peut-être à juste titre une contre expertise, mais surtout de se faire agresser par l’avocat de la défense, remplissant en l’occurrence parfaitement sa fonction, mais semant dans l’esprit des magistrats et des jurés un doute sur la dangerosité de son client et aussi sur la compétence de l’expert.

Qualifier, en tant qu’expert psychologue et/ou criminologue, un criminel de « grand » c’est finalement évaluer sa dangerosité criminologique.
Si la dangerosité psychiatrique définie par les experts psychiatres s’appuie sur un diagnostic médical, la dangerosité criminologique qui est celle des « méchants » dans son acception désuète… est beaucoup plus floue et mal définie. Cependant ces deux dangerosités ne sont en aucun cas en opposition mais complémentaires et coexistent souvent car on est rarement fou à plein temps, on peut aussi être fou et méchant, fou et pervers, fou et cependant prendre du plaisir dans la souffrance de l’autre.

On est dans le psy à tout cran, dans le thérapeutique, ce qui est très réducteur dans le cadre de la défense sociale, mais aussi et surtout parce qu’une proportion importante de « grands criminels » ne sont pas malades mentaux, ne sont pas, en termes triviaux des fous.

 

Quels sont pour le psychologue ou le psycho criminologue les grands criminels présentant une dangerosité ? Dangerosité situationnelle donc ponctuelle ou permanente car structurelle ?

           

  • les terroristes sains d’esprit, qui agissent par conviction religieuse, politique etc … et ne rentrent pas dans l’escarcelle des psychiatres en tant que malades mentaux, fussent-ils des fanatiques. Leur dangerosité est aussi tributaire du sentiment d’insécurité. La justice pénale devenant le moyen le plus usuel de maintien de l’ordre public. Ils sont rarissimes en expertise.

 

  • les agresseurs sexuels, pervers manipulateurs, toujours dans le déni des autres et de leurs propres actes et culpabilité et qui présentent un trouble de l’obtention du plaisir, un trouble de la morale. La satisfaction de leurs propres besoins et pulsions est leur moteur, au détriment des victimes et l’individu pervers devient alors dangereux, c’est à dire risque de récidiver, ce qui sont deux notions différentes. Presque tous les grands criminels sexuels ont commencé par des infractions considérées comme mineures, tel l’exhibitionnisme. One ne devient pas un grand criminel sexuel à 40 ans, mais bien avant.
    Les pédophiles tueurs sont heureusement rares tandis que ceux qui épargnent la vie de leurs victimes sont rarement condamnés à des peines supérieures ou égales à 15 ans, et récidivent fréquemment, avec une montée en puissance et en gravité de leurs actes, mais ils n’entrent pas dans le cadre de la loi de février 2008. Pas plus d’ailleurs que les pères incestueux qui réitèrent inlassablement leurs viols sur chacun de leurs enfants.

 

  • les psychopathes agressifs, impulsifs, intolérants, alcooliques et très souvent toxicomanes, à mi chemin entre la déviance sociale et le déséquilibre de personnalité, sans que l’on repère chez eux de troubles du discernement. Ils représentent plus du tiers des détenus commencent par commettre de petites infractions avant une montée en puissance dans la gravité et l’accélération des actes. Leur seule communauté est l’absence de père, réel, symbolique ou fantasmatique, donc des difficultés à mentaliser et intérioriser l’interdit.

 

Qu’en est-il de la dangerosité dans ces cas ? 

C’est d‘abord une notion justement critiquée puisqu’elle n’est pas neutre et aboutit à un autre concept qui est celui de l’état dangereux susceptible de conduire à la réalisation de l’acte. L’état dangereux identifié entraînerait donc un risque de récidive, débouchant alors sur la catégorisation des individus et leur neutralisation.
L’expertise de dangerosité criminologique, de plus en plus demandée par les magistrats, relève de la psychologie prédictive, c’est la détection d’états dangereux non pathologiques, états dans lesquels une personne est susceptible de commettre un acte violent.
La dangerosité criminologique est multifactorielle (lien victimologique, personnalité de la victime, mobiles, nature de l’acte, récidives antérieures, mode opératoire, circonstances aggravantes etc.) C’est un pari sur l’avenir, évaluation du comportement futur d’un individu, selon sa biographie, les traits marquants de sa personnalité, impulsivité, agressivité, maturité, contrôle des émotions etc. mais aussi la situation dans laquelle il va se trouver et le rôle de la victime. Un pédophile n’est dangereux que face à des enfants.

Mais le profil psychologique du criminel, expertise élaborée dans laquelle figure la dangerosité criminologique, ne doit théoriquement pas tenir compte des faits qui ont conduit à sa mise en examen, puisque le temps expertal se situe pendant l’instruction, et que pas encore jugé l’individu en question est présumé innocent. Ce qui est un obstacle pour l’expert.
Combien de fois ai-je expertisé un individu dont la personnalité m’a laissé à penser que ce n’était pas son premier crime ou que s’il n’avait pas été interpellé il y aurait eu d’autres victimes ? Difficile de le dire aux assises sans aller au-delà de mes fonctions d’autant qu’un expert n’a jamais à se prononcer sur la culpabilité de quelqu’un, mais simplement à préciser éventuellement les traits de compatibilité entre sa personnalité et des actes criminels. Mais la formation insuffisante ou l’absence de cette dernière peut faire glisser vers ce que l’on a appelé en d’autres temps « le délit de sale gueule »

La loi du 25 février 2008 est relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Elle était indispensable, très attendue des psychiatres et concerne les sujets atteints d’une pathologie mentale. Et tous les autres ?
L’expertise psychiatrique a-t-elle les moyens de remplir  sa mission dans l’appréciation de la dangerosité criminologique ? Le simple diagnostic clinique ne semblant pas suffisant pour évaluer la dangerosité criminologique.


Les vœux pieux.

Les projets passent évidemment par une formation spécifique des experts à l’expertise et à l’évaluation de la dangerosité criminologique, ainsi qu’au réel contrôle de leurs compétences, ainsi que celle des psychologues pénitentiaires dont les thérapies individuelles des grands criminels devraient s’orienter sur la prise de conscience de la gravité de leurs actes, leurs responsabilité et culpabilité plutôt que sur leur sérénité psychique.
La fac ne nous y prépare pas. Notre compagnie s’y emploie mais surtout on ne peut qu’adhérer au rapport du Président Lamanda sur la récidive des criminels dangereux avec la place prépondérante de la criminologie qui permet d’apprécier l’individu dans sa globalité psychologique, comportementale et sociale.

Un profil psychologique est peu et insuffisant, il faudrait connaître aussi les antécédents réels et non simplement ce que le criminel veut bien nous dire, ou pas, son casier judiciaire entre autres, avoir accès à toutes les pièces du dossier (en ayant le temps c’est-à-dire la rémunération adaptée) notamment l’analyse de la scène de crime, du mode opératoire, du lien victimologique qui a uni, ne serait-ce qu’un instant, l’auteur et sa victime, autant d’éléments qui sont des indicateurs précieux sur la personnalité du mis en examen.

En l’occurrence, peut-être serait-il utile de décloisonner parfois les fonctions entre les différents acteurs de la procédure, chacun conservant bien évidemment son rôle mais partageant les informations. Ainsi le Salvac, dernier logiciel d‘analyse criminelle, issu de ceux des USA et du Canada contient toutes les informations requises et serait un éclairage important pour l’expertise s’il est (bien) rempli par l’enquêteur. Ce qui n’est pas toujours actuellement le cas, en sachant que jamais un tueur en série n’a, en France, été identifié par un « profiler » ou par un logiciel.

Il ne serait pas inutile aussi que dans le temps de l’instruction, les services d’enquête de police et de gendarmerie collaborent avec de réels psycho criminologues expérimentés (un vrai psychologue diplômé à bac +5 ainsi qu’en criminologie) ayant quelques années d’expérience et pas seulement des juristes faisant des statistiques. Il faudrait canaliser et neutraliser les pseudo écoles de profilage délivrant des diplômes fantaisistes de « profiler » mais qui alimentent d’un part leur caisse mais aussi les fantasmes de petites jeunes filles en mal de sensation, ce qui détériore l’image de la criminologie, des psychologues criminologues, donc de la Justice dont ils sont les collaborateurs.

Peut-être faudrait-il aussi, dans ces cas de criminels présentant une grande dangerosité criminologique, que les peines soient exécutées dans leur totalité, qu’il n’y ait pas de cumul de peines mais addition, pas de réduction de peine possible et bien entendu de libération conditionnelle, ce qui est prévu dans la loi du 25 février 2008 pour les sujets atteints d’un trouble mental, mais pas pour les pervers ou psychopathes. La loi précise aussi que si la personne refuse le suivi psychologique en prison, la réduction de peine est limitée voire annulée. Mais qu’est ce qu’un suivi psychologique ou psychiatrique si le patient contraint, n’est pas motivé pour ces soins auxquels il n’adhère pas, et n’y participe que comme spectateur pour passer le temps ou bénéficier d’une libération anticipée, fut-elle conditionnelle ?

Enfin pour conclure, je dirai que si la psychologie criminelle et la criminologie sont fondamentales dans la compréhension d’un passage à l’acte, elles ont toute leur place ensuite dans le cadre des mesures de sûreté lors des thérapies pour les sujets atteints de troubles mentaux. Il y a certainement adéquation en ce cas mais que proposer pour les sujets sains d’esprit et pour tous ceux qui ne rentrent pas dans cette catégorie ?

Copyright © agrapart – Reproduction autorisée, moyennant mention de la source, sauf spécification contraire.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *