Historique

L’analyse criminelle est un des constituants de l’enquête judiciaire et s’est inscrite progressivement dans son évolution. Elle commence à y trouver sa place.
Si au XIXème siècle, les enquêtes étaient en raison de la territorialité rurale surtout le fait des gendarmes, elles vont très vite au siècle suivant gagner les villes.

Clémenceau va notamment, dans un sentiment d’insécurité collective, c’est à dire de crise en raison de la forte criminalité, créer en 1907 les Brigades du Tigre, qui vont devenir les SRPJ. Cette création intervient après plusieurs affaires (Casque d’or, les bandits d’Hazebrouk, les bandes appelées les Apaches, les routiers, les écorcheurs, etc…) mais surtout celle du sergent Vacher qui à partir de 1895, avait violé et proprement dépecé 11 bergers et bergères et restait non identifié, donc introuvable en raison de son vagabondage.

Un juge d’instruction de Belley dans l’Ain, Emile Fourquet, fit des rapprochements judiciaires, étudia 85 crimes non élucidés, diffusa le signalement par télégraphe, moyen moderne, pour identifier ce que les media appelleraient maintenant  » un tueur en série « . Vacher fut ainsi interpellé et exécuté.

On retrouve dans cette affaire les  » tueurs nomades « , les difficultés à rapprocher différents crimes en raison de l’absence de communication entre les enquêteurs, de services d’archives, de recensement, etc. qui furent aussi créés.
Le criminologue lyonnais Lacassagne dira  » voilà la méthode qu’il faut suivre : instruction centralisée des crimes impunis présentant des caractères de similitude, des investigations effectuées par les juges et des policiers dont les actes ne seraient pas limités territorialement avec un droit de suite et d’enquête dans tout le pays.  »

Ce sont exactement les mêmes difficultés que le FBI va rencontrer 60 ans plus tard et des mesures finalement pas très éloignées de celles de Clémenceau vont être prises.

Dans la même période la découverte des empreintes digitales, et celle des groupes sanguins vont apporter en criminalistique, un plus considérable dans la recherche de la preuve et l’identification des auteurs. L’école psychanalytique d’Europe centrale va aussi avec Freud bien entendu mais ses disciples et ses opposants (ce sont d’ailleurs souvent les mêmes à des temps différents) progressivement éclairer l’enquête de la théorie des pulsions, moteur du comportement. Rappelons simplement que l’agressivité est une pulsion de mort.

En 1932 la gendarmerie nationale à Versailles crée le premier fichier manuel de recherches, en 1963 chaque groupement va constituer une cellule spécialisée dans le rapprochement judiciaire, et ensuite de nombreux services vont être constitués sous le regard d’un bureau de police judiciaire à la Direction générale. La police nationale de manière similaire va créer des sections spécialisées et ainsi que la gendarmerie nationale, tous deux vont en parallèle utiliser des systèmes de rapprochements dont ANACRIM est le plus connu mais de nombreux autres sont utilisés ou en voie de création, y compris dans le traitement informatisé des empreintes digitales.

Au milieu du siècle dernier, les mouvements féministes noirs américains, dans la recherche de la reconnaissance de leur statut non seulement de femme mais aussi de victime, vont contribuer à la construction des enquêtes de victimisation, et à ce que la notion de victime s’ajoute à celle d’auteur, afin que la criminologie ne soit pas seulement la science du criminel mais aussi celle de la victime et de ce qui les unit l’un à l’autre, le lien victimologique. Les termes victime et victimologie paraîtront au code pénal et au code de procédure pénale en 1970 et 1972.

En 30 ans, peu à peu l’approche psychologique va s’infiltrer dans les enquêtes et aller de pair avec les constructions de portrait robot, d’abord parlé, puis dessiné et enfin informatisé. Cet apport psychologique, meilleure connaissance de l’être humain, et de ses comportements, va s’orienter progressivement vers l’étude du lien victimologique, celui qui fait que n’importe qui n’est pas victime par hasard, sans motif, de quelqu’un qu’il ne connaît pas.

La formidable évolution scientifique va accélérer la découverte des preuves. L’ADN, les analyses biologiques, entomologiques, chimiques, balistiques, celles des sons, images, traces et micro traces, des incendies etc. sont devenues aussi partie intégrante de l’enquête

Dans les années 60/70 l’agent spécial du FBI, Ressler, constatant que lorsque des crimes de sang avec une connotation sexuelle présentant des similitudes étaient commis, tout rapprochement était rendu difficile voir impossible par la multiplicité des polices à statut judiciaire (plus de 17000) dont la territorialité était limitée et la mouvance des tueurs (cf. le sergent Vacher.)

Le FBI, à travers des années de recherches et de production de systèmes informatisés dont le programme VICAP est le père, va modéliser les rapprochements judiciaires, les profils-type d’auteurs en général multirécidiviste. Modèles informatisés repris par les pays anglo-saxons, qui se basent sur l’analyse de la scène du crime où le modus operandi de l’auteur serait par définition le continuum de sa personnalité, laisserait ainsi sa signature, donnant des informations sur sa psychologie. Aide à l’enquête par des agents spéciaux formés en psychologie que les américains appelleront  » les profilers « .
Précisons cependant que le FBI est bien revenu de ces analyses car le taux d’identification grâce aux profilers est assez limité.

Puis est arrivée la folie médiatique des  » profilers, des tueurs en série et maintenant celle des analystes criminels « . Les feuilletons américains, où la fragile  » profileuse qui a des flashs  » symbole du Bien va identifier en 52 minutes le méchant tueur, symbole du Mal et l’incontournable film  » le silence des agneaux  » vont donner une perception hollywoodienne d’un travail obscur et besogneux qu’est l’analyse criminelle.
Les «  profilers  » ont fleuri, donnent des cours, s’intitulent «  criminologue ou profiler » alors que ces métiers n’existent pas en tant que tels, ou  » conseiller en profilers…  »  » professeur ici ou là  » délivrent des pseudo-diplômes, envahissent internet pour vendre des cours de profilage dont n’importe qui pourrait bénéficier gratuitement sur le même web. Le terme  » tueur en série  » ne figure en pas en tant que tel dans notre droit français mais que l’on trouve en revanche dans le code pénal le terme  » tueur multirécidiviste « .

Mais ces  » serial killer  » sont devenus l’un des fantasmes collectifs des français, attirés par le goût du macabre, en mal de héros négatif, du mythe du tueur fou, solitaire, chasseur insatiable de proies humaines qu’il va chosifier afin de réaliser ses fantasmes de possession et de toute puissance. Le fantasme du profiler en est le pendant.

C’est ainsi que progressivement l’analyse criminelle est entrée en France par la médiatisation alors que rapprochements judiciaires et analyses criminelles préexistaient à Jody Foster.

La nouveauté est que les magistrats instructeurs chargent maintenant officiellement des experts de  » l’étude psychocriminologique  » de lourds dossiers dont la lecture doit en permanence s’équilibrer entre le nombre de pages que l’on peut avaler et la mémoire que l’on peut en conserver. L’analyse et la construction virtuelle du profil de l’auteur n’étant en fait qu’un second temps après cette lecture et l’élaboration de fiches.

 

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