Le profilage « à la française » Michèle Agrapart-Delmas a effectué l’expertise psychologique de plus de 2 000 criminels et une trentaine de profilages.
A la regarder chiner au marché aux puces de La Seyne, en tenue estivale, Michèle Agrapart-Delmas ressemble à n’importe quelle autre touriste : détendue, souriante, bronzée. Nul ne pourrait imaginer que cette belle blonde de cinquante-cinq ans « connait » sur le bout des doigts plus de deux mille grands criminels. Michèle Agrapart-Delmas est psychocriminologue, expert judiciaire auprès de la cour d’Appel de Paris et depuis quelques années profileur. « A la française », s’empresse-t-elle de préciser. Car les fictions américaines ou autres livres racoleurs ont vite fait d’entourer cette profession d’un halo tout aussi fascinant qu’irréel.
Des dossiers de plusieurs milliers de pages
A la télévision, le « profiler » a des flashs de révélation ou autres illuminations. Dans la réalité, il commence par « éplucher » un dossier pouvant comprendre plusieurs milliers de pages et peser plus de 10 kg ! « Cela permet d’avoir une vue globale de l’affaire », explique Mme Agrapart-Delmas. Mais signifie aussi que le profilage est « toujours un travail d’équipe », puisqu’il résulte de la « collaboration entre le juge d’instruction, les enquêteurs et les différents experts ». Après, ce sont les compétences de la psychologue qui entrent en jeu. Elle va tenter de cerner la personnalité du criminel en fonction de l’acte commis. Son but est « d’établir le profil virtuel, psychologique, typologique, social et physique d’un individu non identifié susceptible d’avoir commis un crime ». Et tout cela sans jamais quitter le réel ! « Tout ce que j’écris doit être en adéquation avec l’enquête », précise-t-elle.
Une phrase peut réorienter l’enquête
Il lui arrive toutefois de demander à réinterroger des victimes (même dans le cas d’un crime, elles ne meurent pas toutes). Comme cette fillette de onze ans, qui avait échappé à un violeur récidiviste. « Comment tu l’as trouvé, ce type ? », lui demande Michèle. « Il avait l’air d’avoir peur. » « Ah bon, pourquoi ? » « Quand il a refermé son couteau, il s’est coupé. » Coup de théâtre ! La gamine ne l’avait pas dit aux enquêteurs, qui pensaient que le sang retrouvé sur place était celui de la victime… Mme Agrapart-Delmas se souvient aussi de cette jeune femme retrouvée brulée dans une voiture. La piste du suicide a été abandonnée, il y a une constellation de suspects.
Pas de place pour l’intuition
Après l’étude du dossier, elle commence à expliquer aux enquêteurs : « Quand le meurtrier lui a téléphoné du restaurant… » Elle est immédiatement coupée : « Comment le savez-vous ? » Elle balbutie : « Je ne sais pas… J’ai du le lire dans le dossier. » « Impossible, nous l’avons appris il y a moins d’une demi-heure ». Troublant, et pourtant la psychocriminologue assure : « Ce n’était pas de l’intuition, mais une déduction purement logique. Dans mon raisonnement, il ne pouvait pas en être autrement ». Car pour Michèle Agrapart-Delmas, si le profilage n’est bien entendu « pas une science exacte », c’en est une tout de même. C’est pourquoi elle s’emploie à balayer les idées reçues – « il ne conduit pas toujours à l’identification du criminel » – et fait la guerre aux « pseudo-profileurs, qui n’ont aucune connaissance de la criminologie et de la psychologie ». Toutes ces réflexions, et surtout sa longue expérience, elle les a consignées dans un livre à paraitre le 14 septembre, « De l’expertise criminelle au profilage », qui fourmille d’exemples. Et plongera le lecteur dans la cruelle réalité. Car Michèle Agrapart-Delmas est formelle : « Je n’ai jamais résolu une affaire en 52 minutes ! »
Du « profiling » au… profilage
Le profilage, traduction approximative du mot anglo-saxon « profiling », est un concept américain né dans les années cinquante pour faciliter l’identification des « serial killers ».
Récemment importé des Etats-Unis, il a été rapidement médiatisé par la diffusion de films ou de séries télévisées. « Malgré cela, en France où nous avons peu de tueurs en série, donc moins besoin de profileurs, il s’agit plutôt de conseils psychologiques que d’un vrai profilage exécuté par un fonctionnaire de police au cours d’une enquête criminelle », explique Michèle Agrapart-Delmas.
« Le métier de profileur n’existe pas en tant que tel en France, poursuit-elle. Cependant, depuis quelques années les juges d’instruction font appel à des profileurs occasionnels. Cette démarche étant à ses balbutiements, on voit fleurir des vocations chez des individus n’ayant aucune connaissance de la criminologie et de la psychologie ».
Selon Mme Agrapart-Delmas, « il serait donc souhaitable qu’une réelle formation se mette en place et soit réservée à des experts judiciaires criminologues, psychiatres ou psychologues, spécialistes du comportement humain, ayant une grande expérience de l’expertise et de l’enquête criminelle leur permettant de donner leur propre lecture d’un dossier d’instruction ».
Anne TEZIER
Août 2001