Le Monde

Le Travail  » obscur et laborieux  » d’une profileuse pour dresser le portrait psychologique d’un meurtrier

MICHÈLE AGRAPART-DELMAS, experte judiciaire auprès de la cour d’appel de Paris, possède une longue expérience des criminels en série. Elle préfère d’ailleurs les appeler  » des tueurs multirécidivistes « . Car, selon elle, la France ne reproduit pas toujours le modèle américain. Chez les serial killers d’outre-Atlantique, le mobile et la mise en scène de la mise à mort des victimes ont toujours une connotation sexuelle, explique-t-elle en substance. Dans l’Hexagone, plusieurs exemples – du célèbre docteur Petiot, guillotiné au lendemain de la seconde guerre mondiale, à Thierry Paulin, condamné pour le meurtre de plusieurs vieilles dames entre 1984 et 1987 et soupçonné au total de dix-huit assassinats – ont démontré que le simple appât de l’argent pouvait être une raison suffisante pour tuer à répétition.

A cinquante-cinq ans, Mme Agrapart-Delmas s’est d’abord consacrée, à plus de deux milles reprises, à l’établissement du portrait psychologique de criminels devant les cours d’assises. Le profilage est encore une technique nouvelle qu’elle n’utilise que depuis six ans, tout en en dénonçant les risques et les limites. Devant les tribunaux, l’auteur des faits est présent. Avant sa comparution, il a rencontré à plusieurs reprises l’expert qui s’est entretenu avec lui. A l’inverse, le profileur ignore tout de l’identité du meurtrier, dont il cherche à reconstituer la personnalité. Il s’appuie sur des indices matériels recueillis sur les lieux du crime, sur d’éventuels témoignages, ou encore sur le rapprochement de faits similaires.  » C’est la raison pour laquelle nous devons travailler en étroite collaboration avec les enquêteurs, policiers ou gendarmes, explique l’experte. J’étudie minutieusement les milliers de pages que comportent parfois leurs dossiers.  »

Elle ne ménage pas les mises en garde contre les  » escrocs  » attirés par une discipline aux contours flous, qui suscite parfois la fascination du public: auteurs de livres sommaires sur le sujet, gendarmes en retraite trop vite reconvertis en experts du  » profiling « , qui tous vont démarcher les juges d’instruction  » pour assurer leur publicité ». Il ne s’agit pas d' » une science divinatoire », précise M » Agrapart-Delmas, qui n’hésite pas à recourir à l’autodérision pour illustrer son propos. « A la télévision, il y a une série intitulée Profiler, dont l’héroïne a des flashs de révélations et pas de cellulite. Moi, dit-elle, c’est le contraire. je n’ai pas de flashs et j’ai de la cellulite.  » A défaut d’illumination, le travail requiert patience et prudence dans les conclusions. Il est  » obscur et laborieux « , car le profilage n’en est qu’à  » ses balbutiements », insiste l’experte. « je m’occupe actuellement du cas de deux jeunes filles qui ont été tuées en 1985, poursuit-elle. Les victimes sont totalement désincarnées. Quelle qu’ait été leur personnalité, les parents en font des saintes. Le seul moyen est de se raccrocher aux éléments du dossier pour définir quel peut être l’auteur éventuel  »

CONTRE LES IDÉES REÇUES

L’expertise pose pour principe de partir de la victime. Il faut tout examiner: le lieu où elle a été retrouvée, mais aussi des détails, par exemple le pliage de ses vêtements, s’ils lui ont été retirés, l’endroit où ils ont été déposés.

Une situation concrète offre parfois plusieurs possibilités. « J’ai œuvré sur le cas d’une femme que l’on avait retrouvée au fond d’un puits, raconte-t-elle. Elle n’avait plus de cheveux sur le crâne. Etait-ce dû au fait qu’elle avait longuement séjourné dans l’eau ? Avait-elle été traitée par chimiothérapie pour un cancer ? Cette chute résultait elle d’un état dépressif ? Nous avions aussi remarqué que ses pieds avaient une forme bizarre. Pour conforter ces hypothèses, nous nous sommes renseignés auprès des hôpitaux.  »

A l’aide d’un autre exemple, Michèle Agrapart-Delmas écarte une énième idée reçue sur sa profession. Le profilage, même s’il est parfaitement réussi, ne conduit pas forcément à l’identification du meurtrier. « je me suis occupée du cas de deux petites Marocaines qui ont été tuées à trois ans d’intervalle dans la région de Grenoble, dit-elle. Nous avons pu déduire à partir des empreintes que l’auteur était un jeune homme. Qu’il était sans doute de la même origine que ses victimes, car, au vu de leur éducation, elles n’auraient pas suivi un Européen qu’elles ne connaissaient pas. Grâce à des témoignages, nous avons même pu établir un portrait robot. Nous avons fait le tour des hôpitaux psychiatriques de la région. Sans succès. On a bien bossé et on ne l’a pas eu.  » L’experte y trouve une nouvelle raison à la prudence et à la modestie.  » Le profilage n’est pas une science exacte, conclut-elle. Car la psychologie fait toujours intervenir la morale.  »

P.Ce
Décembre 2000

 

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L’ESSOR de la Gendarmerie Nationale

« De l’Expertise Criminelle au Profilage »

 

Michèle Agrapart-Delmas, psychocriminologue ayant pratiqué plus de 2 000 expertises criminelles, vient d’écrire un ouvrage dont nous conseillons la lecture à tous les enquêteurs de la Gendarmerie. Elle y rappelle, d’ailleurs, que  » la Gendarmerie nationale, depuis 1994, possède un programme d’analyse criminelle Anacrim mis au point par la gendarmerie belge et qui comporte deux types d’analyses informatisées, l’une fondée sur le temps et l’autre sur les liens. Il s’agit en fait plus d’une technique informatisée d’analyse criminelle que d’un véritable profilage. Mais, depuis des décennies, la Gendarmerie nationale pratique des rapprochements judiciaires et, actuellement, met en place une formation spécifique pour ses enquêteurs « . Pour donner une idée de cet ouvrage très instructif, nous livrons à nos lecteurs quelques passages sélectionnées par nos soins.

Les femmes tueuses de leur mari et leur jubilation
C’est une constatation étonnante que j’ai faite lors de chacune de mes expertises concernant les femmes qui avaient tué leur mari ou leur compagnon : elles jubilaient. Peu étaient maltraitées, insultées ou violées, celles-là restent et ne tuent pas. C’étaient des femmes ordinaires, avec des histoires ordinaires et un homme banal dans leur vie. L’alcool a, dans la quasi-totalité des dossiers que j’ai traités (plus d’une trentaine), incontestablement joué un rôle déterminant, permettant la levée des inhibitions… Les motifs sont assez traditionnels : conflit familial, jalousie, dettes, autre femme ou simple perte de contrôle sous le coup de l’alcool. Les meurtrières pas plus que leur victime ne présentent de caractéristiques psychiques particulières ; le mode de passage à l’acte est banal, mais ce qui est remarquable est la formidable adaptation de l’auteur au milieu carcéral. La plupart m’ont dit sous une forme ou une autre, alors qu’elles étaient incarcérées : je suis enfin libre. Plus de ménage à faire, ni de commissions, de repas à préparer, de linge à entretenir, plus de devoir (sexuel) conjugal à supporter … Beaucoup disent, dans la proximité relationnelle de l’expertises, mais pas au procès, regretter non pas leur geste, mais de ne pas l’avoir accompli plus tôt.

Les maris assassins
Les maris assassins de leur femme sont d’une totale banalité ; ils tuent parce qu’ils en ont assez de la voir, ou pour vivre avec leur maîtresse, rarement par passion parce que l’épouse a un amant… Mais alors que les femmes jubilent après le meurtre, eux pleurent, masquent ce qui est la plupart du temps un assassinat en accident, et sont des veufs inconsolables… jusqu’aux obsèques… A leur sortie (de prison), ils ont en général plus de difficultés à s’adapter que les femmes meurtrières.

La destruction du corps
C’est aussi le corps qui est détruit, annihilé dans le suicide, (la deuxième cause de mortalité en France avant 25 ans, ( et qui touche 33 % des garçons)… Mais, à l’autre bout de la vie, 3 000 personnes de plus de 65 ans se suicident chaque année, et c’est trois fois plus que les jeunes entre 15 et 24 ans. Quand 100 adolescents meurent, 38 % sont tués dans des accidents de voiture, 15 % se suicident, 1 % est tué par homicide volontaire.

Naissance des délinquants
Le divorce, souvent évoqué, n’est certes pas une chance pour l’enfant, mais c’est un faux problème. Dans le cadre de la séparation parentale, c’est l’absence totale d’un des parents, vécue comme un rejet ou un abandon, ou la destruction calomnieuse de l’image de l’un ou de l’autre parent (le père surtout) qui va entraîner des difficultés comportementales chez l’enfant. Un couple peut être séparé et assurer cependant l’éducation structurée de sa progéniture. Il y a autant de délinquants dans des familles non séparées où le père est psychologiquement, physiquement absent, ou n’assure pas ses fonctions, que dans les familles monoparentales. Les Américains ont calculé qu’un jeune garçon de 18 ans qui regarde régulièrement deux heures par jour la télévision a déjà assisté à 180 000 meurtres, assassinats, viols, défenestrations, incendies volontaires, etc. L’accoutumance, la banalisation et la normalisation de la violence vont, bien sûr, augmenter le stress et l’anxiété des jeunes, favoriser la reproduction de ce qu’ils ont vu, tant dans des comportements agressifs et délictueux que dans des violences intra-familiales, et un certain nombre d’enfants battus deviennent à leur tour des parents maltraitants.

Profilage
Le profilage en est à ses balbutiements. Très vite, les  » artisans  » qui actuellement effectuent ces études vont être aidés ou suppléés par des logiciels spécifiques. Il n’est qu’un des aspects de l’enquête criminelle, qu’il ne remplacera jamais. La place de la psychologie est croissante et s’ajoute aux dimensions juridiques et criminalistiques, qui sont les fondements de l’enquête. L’approche psychologique, soutenue par l’apport de l’informatique, enrichit la recherche criminelle. Le profilage, très surévalué et déformé par les médias, ne doit pas non plus être dégradé par des profileurs amateurs, ni méprisé par ceux qui n’en ont pas la connaissance. Il a sa place, plus ou moins importante selon les dossiers, dans une enquête criminelle.

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Var Matin

Le profilage « à la française » Michèle Agrapart-Delmas a effectué l’expertise psychologique de plus de 2 000 criminels et une trentaine de profilages.

A la regarder chiner au marché aux puces de La Seyne, en tenue estivale, Michèle Agrapart-Delmas ressemble à n’importe quelle autre touriste : détendue, souriante, bronzée. Nul ne pourrait imaginer que cette belle blonde de cinquante-cinq ans « connait » sur le bout des doigts plus de deux mille grands criminels. Michèle Agrapart-Delmas est psychocriminologue, expert judiciaire auprès de la cour d’Appel de Paris et depuis quelques années profileur. « A la française », s’empresse-t-elle de préciser. Car les fictions américaines ou autres livres racoleurs ont vite fait d’entourer cette profession d’un halo tout aussi fascinant qu’irréel.

Des dossiers de plusieurs milliers de pages

A la télévision, le « profiler » a des flashs de révélation ou autres illuminations. Dans la réalité, il commence par « éplucher » un dossier pouvant comprendre plusieurs milliers de pages et peser plus de 10 kg ! « Cela permet d’avoir une vue globale de l’affaire », explique Mme Agrapart-Delmas. Mais signifie aussi que le profilage est « toujours un travail d’équipe », puisqu’il résulte de la « collaboration entre le juge d’instruction, les enquêteurs et les différents experts ». Après, ce sont les compétences de la psychologue qui entrent en jeu. Elle va tenter de cerner la personnalité du criminel en fonction de l’acte commis. Son but est « d’établir le profil virtuel, psychologique, typologique, social et physique d’un individu non identifié susceptible d’avoir commis un crime ». Et tout cela sans jamais quitter le réel ! « Tout ce que j’écris doit être en adéquation avec l’enquête », précise-t-elle.

Une phrase peut réorienter l’enquête

Il lui arrive toutefois de demander à réinterroger des victimes (même dans le cas d’un crime, elles ne meurent pas toutes). Comme cette fillette de onze ans, qui avait échappé à un violeur récidiviste. « Comment tu l’as trouvé, ce type ? », lui demande Michèle. « Il avait l’air d’avoir peur. » « Ah bon, pourquoi ? » « Quand il a refermé son couteau, il s’est coupé. » Coup de théâtre ! La gamine ne l’avait pas dit aux enquêteurs, qui pensaient que le sang retrouvé sur place était celui de la victime… Mme Agrapart-Delmas se souvient aussi de cette jeune femme retrouvée brulée dans une voiture. La piste du suicide a été abandonnée, il y a une constellation de suspects.

Pas de place pour l’intuition

Après l’étude du dossier, elle commence à expliquer aux enquêteurs : « Quand le meurtrier lui a téléphoné du restaurant… » Elle est immédiatement coupée : « Comment le savez-vous ? » Elle balbutie : « Je ne sais pas… J’ai du le lire dans le dossier. » « Impossible, nous l’avons appris il y a moins d’une demi-heure ». Troublant, et pourtant la psychocriminologue assure : « Ce n’était pas de l’intuition, mais une déduction purement logique. Dans mon raisonnement, il ne pouvait pas en être autrement ». Car pour Michèle Agrapart-Delmas, si le profilage n’est bien entendu « pas une science exacte », c’en est une tout de même. C’est pourquoi elle s’emploie à balayer les idées reçues – « il ne conduit pas toujours à l’identification du criminel » – et fait la guerre aux « pseudo-profileurs, qui n’ont aucune connaissance de la criminologie et de la psychologie ». Toutes ces réflexions, et surtout sa longue expérience, elle les a consignées dans un livre à paraitre le 14 septembre, « De l’expertise criminelle au profilage », qui fourmille d’exemples. Et plongera le lecteur dans la cruelle réalité. Car Michèle Agrapart-Delmas est formelle : « Je n’ai jamais résolu une affaire en 52 minutes ! »


Du « profiling » au… profilage

Le profilage, traduction approximative du mot anglo-saxon « profiling », est un concept américain né dans les années cinquante pour faciliter l’identification des « serial killers ».

Récemment importé des Etats-Unis, il a été rapidement médiatisé par la diffusion de films ou de séries télévisées. « Malgré cela, en France où nous avons peu de tueurs en série, donc moins besoin de profileurs, il s’agit plutôt de conseils psychologiques que d’un vrai profilage exécuté par un fonctionnaire de police au cours d’une enquête criminelle », explique Michèle Agrapart-Delmas.

« Le métier de profileur n’existe pas en tant que tel en France, poursuit-elle. Cependant, depuis quelques années les juges d’instruction font appel à des profileurs occasionnels. Cette démarche étant à ses balbutiements, on voit fleurir des vocations chez des individus n’ayant aucune connaissance de la criminologie et de la psychologie ».

Selon Mme Agrapart-Delmas, « il serait donc souhaitable qu’une réelle formation se mette en place et soit réservée à des experts judiciaires criminologues, psychiatres ou psychologues, spécialistes du comportement humain, ayant une grande expérience de l’expertise et de l’enquête criminelle leur permettant de donner leur propre lecture d’un dossier d’instruction ».

Anne TEZIER
Août 2001

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AFP

« Une psychocriminologue évoque les points communs entre terroristes et tueurs en série »

Psychocriminologue, Michèle Agrapart-Delmas entrevoit dans son livre « De l’expertise criminelle au profilage« , qui vient de paraître, plusieurs points communs entre la personnalité des tueurs en série et celle des terroristes.

« Les terroristes ont en commun avec les tueurs en série la violence meurtrière, le caractère multirécidiviste et fanatique de leurs actes, répétés sans fin et toujours exécutés avec un sang-froid remarquable, la réduction de leurs victimes à la fonction d’objet », écrit-elle.

Enseignante dans divers instituts et universités, ainsi qu’auprès de la gendarmerie française, expert judiciaire, Michèle Agrapart-Delmas, qui a réalisé plus de 2.000 expertises criminelles, souligne que « certains chefs, au commandement directif, sont atteints d’une véritable paranoïa qui arme le bras des acteurs, isolés de leur environnement, perdant ainsi leurs repères habituels et pour lesquels l’obéissance est de rigueur ».

Se référant aux terroristes qu’elle a « expertisés », elle dresse le constat qu’ils ne se différenciaient du tueur ordinaire que par le fanatisme du discours, la haine à l’encontre de tel pays, de telle race ou de telle religion, mais « rien dans leur personnalité profonde n’en faisait des êtres à part, sinon qu’ils étaient totalement sous influence de leur groupe ou de leur chef ».

Autre point commun avec les tueurs multirécidivistes, selon elle, il n’est pas rare que l’on trouve chez les terroristes « des souffrances morales liées à une enfance carencée ».
Aux côtés d’hommes jeunes (souvent moins de 35 ans), célibataires en raison de leur engagement précoce, mais ayant une maîtresse attitrée, émergent de rares femmes terroristes « dont la haine et l’acharnement à tuer sont plus forts que ceux des hommes ». Leur évolution psychologique est « très proche de celle des criminelles traditionnelles », note Mme Agrapart-Delmas.

La psychocriminologue constate par ailleurs que la diffusion d’images, recherchée par les terroristes, entraîne « comme dans le cas des tueurs en série, des passages à l’acte meurtriers et/ou terroristes par imitation ou contagion, créant la même fascination morbide que l’on retrouve chaque fois qu’un crime sanglant se produit ou qu’un tueur réputé dangereux est jugé ».
Selon elle, en cas d’acte terroriste isolé, « la pathologie mentale est présente et les motivations redeviennent celles de tout meurtrier ».

Octobre 2001
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